Neuf chambres sont révélées par des fenêtres-vitrines. Derrière six d’entre elles sont exposées des femmes évoluant dans leur espace privé. À chaque chambre correspond un chant. Chaque chant est l’expression d’une obsession, d’une angoisse ou d’un espoir récurrent dans la pensée et dans l’écriture de Nelly. Chaque chant est porté par une femme différente. Le septième chant, le chant perdu, est le chant du Chœur, dirigé par le personnage du spectre qui s’insinue ponctuellement dans l’intimité des femmes. Loin de Nelly et différente d’elle, chacune de ces femmes incarne un aspect des matières abordées dans son écriture.
Nelly Arcan était une femme exposée, offerte au regard des autres sans retenue, fragilisée à la fois par l’œil scrutateur des voyeurs et par sa propre absence de pudeur. La puissance du rythme de son écriture est saisissante. Avec la volonté de mettre ce rythme en valeur, loin du théâtre psychologique ou du récit biographique, La fureur de ce que je pense propose un collage de ses textes transposés en chants. Le spectacle est un hommage à Nelly Arcan, l’auteure trop tôt disparue.
L’écriture de Nelly Arcan recèle tant de noirceur qu’il faut souvent quitter le livre des yeux un moment. On se dit mon dieu quelle souffrance, comme cette vision est crue. Et quelle intransigeance, quelle dureté, quelle clarté ils ont ces superbes yeux qui transpercent les autres impitoyablement comme des poignards coupants. Paradoxalement, on éprouve alors de l’affection pour celle qui écrit sans pitié ni compassion. L’élan de cette fureur crachée dans cette parole si dure et vive n’arrive pas à masquer la terreur que cette femme brillante, prisonnière d’une sorte d’état d’effarement ininterrompu, éprouvait face aux injustices de la condition humaine, de la condition féminine, des états amoureux. Cette écriture qui coule comme un fleuve jamais tranquille expose à tout moment l’intensité de cette souffrance qu’elle avait d’être elle-même et l’amplitude de son mal de vivre. Ce spectacle est un chant. Il est porté par un chœur de six actrices et une danseuse, artistes remarquables, enracinées dans la vie. À la fin, une jeune femme ivre, chaussures à la main s’éloigne dans la nuit. Ce spectre délicat, je l’imagine rentrer chez elle. Elle dort un peu et puis elle se relève, vivante, avec le jour.